LA TOURTE VOYAGEUSE
La Tourte voyageuse (Ectopistes migratorius), également nommée Pigeon voyageur, fut sans doute l’un des oiseaux les plus abondants de notre planète au 19e siècle. Considérée comme nuisible pour les récoltes, elle fut exterminée en quelques dizaines d'années seulement.
Une espèce autrefois abondante
L'ornithologue d'origine française Jean-Jacques Audubon (1785 - 1851) estimait à quelques 5 milliards d’individus le nombre de Tourtes voyageuses présentes au 19e siècle en Amérique du Nord. Leurs migrations étaient des plus spectaculaires. En 1813, Audubon fut témoin d’un passage qui dura trois jours sans interruption : « La lumière du jour, en plein midi, s’en trouvait obscurcie comme par une éclipse, la fiente tombait semblable aux flocons de neige fondante, et le bourdonnement continu des ailes étourdissait et donnait envie de dormir. »
À l'époque, une récompense pouvait être accordée aux chasseurs qui abattaient plus de trente mille oiseaux lors des compétitions de chasse. Il faut dire qu'avec ses vols compacts de plusieurs milliers d’individus, la Tourte voyageuse fut une cible facile. À ces massacres s’ajouta la déforestation qui priva les oiseaux des faines et des glands qui constituaient l’essentiel de leur nourriture lors des migrations.
Bien que Jean-Jacques Audubon fût un éminent ornithologue de terrain, il se trompa lourdement lorsqu’il écrivit : « On serait naturellement porté à conclure que d’aussi terribles massacres devraient bientôt avoir mis fin à l’espèce […] mais je pus m’assurer […] qu’il n’y a que le défrichement graduel de nos forêts qui puisse réellement les menacer. »
Une espèce aujourd'hui disparue
Massacres, captures des jeunes dans les nids et déforestations, conduisirent à l’éradication totale de l’espèce. Ce que Jean Dorst a appelé « le plus pitoyable exemple de destruction d’une espèce », était consommé. Quelques groupes erratiques de Pigeons migrateurs furent encore vus jusqu’aux environs de 1880. Un dernier oiseau fut encore tué en 1900. Dès 1912, on récompensait non plus celui qui abattrait 30 000 oiseaux mais celui qui pouvait encore repérer une tourte à l’état sauvage.
Lorsque la population commença à s'effondrer, zoos et musées se hâtèrent d’acquérir les derniers survivants. Ainsi, de rares spécimens subsistèrent en zoos, mais ils ne s’y reproduisirent pas. Marta, dernière représentante de l’espèce, mourut au zoo de Cincinnati (États-Unis) le 1er septembre 1914 à 1h00 du matin, marquant l’extinction à jamais d’une espèce que l’humain pensait indestructible.
Aujourd’hui, près de 12 % des espèces d’oiseaux sont classés en danger d’extinction d’après l’Union internationale pour la protection de la nature.
Trois spécimens exposés au musée
Dans les années 2000, Pierre Gradoz, alors responsable de la Section d’ornithologie du Musée, assisté de Marie Boigues, élaborent un inventaire exhaustif de la collection ornithologique. Chaque spécimen fut déterminé et étiqueté. Témoins d'une biodiversité en danger, cette espèce disparue et bien d'autres en voie de disparition, firent l'objet de publications dans le bulletin scientifique de la Société d'Histoire naturelle et d'Ethnographie et bénéficièrent d'une place de choix au sein du parcours permanent du musée.
Malgré cet important travail d'inventaire, l’origine précise des spécimens est très rarement connue, comme en atteste le volume 69 du bulletin scientifique paru en 2010. Dans un article, Pierre Gradoz lui-même écrit : « Aussi bien le catalogue manuscrit dressé en 1861 par de Saint-Firmin que celui de 1895 établi par Gustave Schneider, ne fournissent de renseignements précis sur le lieu et sur la date de récolte des oiseaux. » Pour l’année 1861, on relève les indications suivantes : « don d’un grand nombre d’oiseaux … » ou encore « M. Milne -Edwards, administrateur du Muséum de Paris, nous a adressé une caisse de 67 oiseaux exotiques, parmi lesquels beaucoup d’espèces rares… », sans plus de précisions. En 1862, le bulletin mentionne « l’achat fait à Strasbourg d’une collection entière, composée exclusivement d’oiseaux d’Europe, parmi lesquels un grand nombre d’espèces rares… ».
Des recherches restent donc à mener pour retracer l'histoire de nos collections.